Raconter la réalité pour essayer de trouver ce qui en a de vrai.
Tout commence par une lettre. Carrère demande la permission à Jean-Claude Romand pour écrire un livre qui raconte la tragédie dont il avait été agent. Il voudrait, autant que possible, comprendre ce qui s’est passé et ce qui a mené un homme à mentir pendant 18 ans et à tuer toute sa famille (parents, chien, épouse et enfants). Il va essayer ensuite de se suicider. Lorsqu’il se réveille à l’hôpital il tentera encore de prouver que tout a été une manipulation mais bientôt tout est dévoilé. Il est alors mis en prison et l’affaire Romand bouleverse la France et le monde entier en 1993.
Emmanuel Carrère essaie de comprendre l’imcompréhensible en se mettant dans la peau d’un homme capable de ce crime multiple. Avec une écriture transparente et intime, il plonge dans toutes les étapes vitales de Romand et montre sa personnalité, sa famille, ses peu d’amis… Romand se disait médecin et chercheur de l’OMS mais il n’avait jamais passé la deuxième année de fac. Tous les jours il se rendait à Gèneve pour ne rien faire. Il traînait dans les bois, sur les autoroutes, stations de services. Il passait aussi beaucoup de temps dans des bibliothèques pour étudier tout ce dont il était censé maîtriser.
Est-ce qu’il imaginait comment tout cela se terminerait, de quelle façon éclaterait la vérité et ce qui se passerait ensuite? Est-ce qu’il pleurait, le front contre le volant? Ou bien est-ce qu’il ne ressentait rien de tout? Est-ce que, seul, il devenait une machine à conduire, à marcher, à lire, sans vraiment penser ni sentir, un docteur Romand résiduel et anésthesié? Un mensonge, normalement, sert à recouvrir une vérité, quelque chose de honteux peut-être mais de réel.
Et voilà. Il a réussi à se marier, à créer une famille, à avoir de l’argent. Comment? On dirait impossible. On peut seulement se poser des questions:
Comment peut-on tenir si longtemps un mensonge? Quelle partie de la vie de Romand était vraie? Qu’est-ce que c’est la vérité? Qu’est-ce que c’est connaître l’autre? Qu’est-ce l’amour? Pourquoi se laisser fasciner par un «sale» type comme ça? Qu’est-ce qu’il y a en nous de morbide pour nous laisser attendrir? Pourquoi ce livre est lu et commenté, par exemple, dans un club de lecture?
À propos de l’affaire, on a fait un documentaire intitulé «Le double je» disponible sur YouTube. L’on s’approche un peu plus de cette histoire, on entend les membres de la famille qui restent vivants mais, surtout, on se demande ce que cela nous rapporte à nous, lecteurs, cette histoire. Pourquoi on s’y accroche? La même question s’est posée à Carrère.
Pour conclure, il faut dire que Jean-Claude Romand est de nos jours rétiré dans un couvent bénédictin. Carrère nous montre aussi un homme qui mène un comportement exemplaire en prison, qui étudie, qui aide les autres, qui montre des émotions, peut-être essayant de se libérer de tout mensonge, il commence à exister. En tout cas, on met en question cette rédemption mystique et nous comptons sur ce que Romand qui a dit «Je me comdamne à vivre». Voilà tout.