Soif d’Amélie Nothomb

Son meilleur livre jusqu’à maintenant.

C’est elle même qui l’a avoué. Nothomb a mis une cinquantaine d’années à écrire ce roman tel qu’il est. Elle, qui parle d’une relation de verticalité avec Dieu, a osé finalement se mettre dans la peau du Christ, jusqu’au moment elle n’était pas prête. Elle n’a pas échoué, à mon avis, même si le roman a reçu beaucoup de détracteurs pour avoir parlé d’un intouchable, pour le fait aussi qu’il nie des phrases que les évangiles lui ont attribué tout au long des siècles. Avec ce roman on se rapproche d’un Jesús qui juste avant de mourir dit j’ai soif. Voilà.

Nous trouvons un Jésus humain, trop humain (en rappelant le titre nietzschéen) qui a peur, qui adore dormir, qui ressent de la colère, qui se repent de ses erreurs, qui n’aime pas les mariages, qui danse aux noces de Canas juste avant son premier miracle, qui adore le quotidien, qui rassemble à sa mère et critique l’exploit ambitieux de son père: le mettre au monde pour sauver l’humanité. Exploit dont il n’a jamais eu l’occasion de se rébeler car ça a été une imposition. Peut-être, Nothomb a voulu nous montrer un Jésus qui se pose les mêmes questions que nous nous posons, lecteurs postmodernes, un Christ qui a besoin de se séparer de son père pour devenir lui-même, un Christ qui se demande dois-je accepter le dessein de mon père? Suis-je obligé de l’obéir ou j’aurais quand-même un autre choix? Nothomb nous laisse entrevoir qu’il aurait choisi, d’avoir pu, de rester avec Madeleine et de vivre tranquillement parmi les humains. D’ailleurs, qu’est-ce que cela veut dire sauver l’humanité? Pardonner les autres? D’abord il faut se pardonner soi-même! Des réflexions de cette sorte réssonnent dans la pensée de Jésus pendant qu’il traîne la croix vers le mont du calvaire. Il arrive finalement à une réponse: l’acceptation de ce qui est, l’acceptation de tout, incluant cette douleur infligée par les romains (et/ou le juifs orthodoxes), l’acceptation de sa propre destinée. Parce que dans les humains, il y a Dieu mais il y a aussi le diable. Selon moi, ce Christ n’est pas très loin des héros présentés dans la littérature classique.

Le fait qui fait la différence entre Jésus de son père c’est l’incarnation: avoir un corps lui permet de dimensionner la souffrance et le plaisir. Avoir un corps, c’est ce qui peut arriver de mieux. Effectivement, grâce à cette corporéité, il est capable de se rapprocher des humains, d’être l’un d’eux, de mieux les comprendre lorsqu’ils se plaignent, par exemple, et il est capable aussi de décider la place ou la distance qu’il voudrait avoir avec eux s’il vivait encore plus de temps. Le corps c’est le vrai cadeau ou la plus grande réussite de son père.

Et la soif, qu’est-ce? La soif c’est une métaphore. Ce que je comprends c’est que la soif est la soif de connaissances, la soif d’amour, la soif d’éprouver des nouvelles expériences, la soif de l’état de grâce, la soif de vivre (de rester vivant, dans son cas). Quand il est déjà sur la croix, Jésus boit un tout petit peu et il éprouve encore ce plaisir dans sa bouche, ce plaisir qui l’accroche pour un instant encore à la vie (humaine). Après, c’est une autre chose.

J’ai aimé particulièrement cette partie du roman où l’on voit un Jésus déjà divin (mort) et qui continue à radoter. C’est la partie, disons, la plus spirituelle du roman. Son point de vue est tellement humble, aimable et proche! Après toute la souffrance et la douleur qu’on pourrait imaginer, nous nous sentons rassurés et encouragés à mourir, si on peut dire ça. Étant donné que nous allons le faire…

En vérité, il n’y a pas de limites à ce qu’on appelle vivre.

Cela n’empêche et n’empêchera pas une importante proportion de gens à affirmer qu’il n’y a rien après la mort. C’est une conviction qui ne me choque pas, si ce n’est pas son aspect péremptoire et surtout par l’intelligence supérieure dont se targuent ses tenants. Comment s’en étonner? Se sentir plus intelligent qu’autrui est toujours le signe d’une déficience.

Dans cette société malade, avoir une spiritualité n’est pas facile. Si en plus, on se met à faire des exercices publiques avec elle tout en écrivant un roman pareil, c’est du commerage assuré. Mais nous le savons déjà, la critique fait toujours partie du cirque où nous vivons.

Amélie Nothomb est un des génies de la littérature francophone et avec cette «boutade belge», elle nous chatouille les sens, mais aussi nos pensées les plus élévées. Chapeau, belle dame!

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