Délicieux roman sur la découverte du plaisir de deux adolescents
La semaine dernière nous avons partagé quelques réflexions autour de ce roman. J’ai invité à la séance de notre club de lecture de la Bibliothèque une de mes professeures de l’université: l’émérite Àngels Santa. Elle nous a parlé de Colette, de sa vie, de l’époque qu’elle a vécue, et elle nous a aidé à mieux saisir le sens du roman.
Lire Colette a été un vrai défi pour moi. La première fois que j’ai voulu la lire, je ne l’ai pas trop comprise. J’admirais sa liberté, son courage et sa personnalité dont on nous a parlé en cours. Mais le sens de son écriture m’échappait. Ça a été plus tard que l’ai comprise et c’est maintenant que je relis ce roman que j’apprécie la grandeur littéraire de Colette. Peut-être parce que je m’approche de l’âge où elle a fait, d’après moi, les plus beaux romans, les plus mûrs et les plus travaillés.
Le Blé en Herbe me semble un défi pour l’intelligence. Lire Colette c’est la lire avec tous les sens, pas seulement avec les yeux. La lire c’est la respirer, la toucher, la sentir. Elle était une vraie reventicatrice du plaisir, au sens large du terme. Ses romans sont pleins de poésie, d’images bucoliques et, ce qui m’intéresse le plus, de non-dits, ce qui permet au lecteur de se sentir participant du jeu fictif.
Nous voici devant un récit d’apprentissage de deux adolescents.
Le décor est celui d’une Bretagne lointaine et proche en même temps. La mer, en toutes ses formes et sonorités accompagne les deux ados, Vinca et Phil, à ses rencontres et reste complice de toutes ces aventures. Il se connaissent depuis sa naissance car leurs familles passent les vacances d’été ensemble dans une maison de campagne, mais c’est la première fois qu’ils se «voient» avec leurs corps développés. Ils vont jouer à être des adultes afin d’apprendre que la vie est beaucoup plus intense qu’ils ne l’imaginaient. Les jours passent et se ressemblent, des jours à rire, à se chamailler pour un rien, à s’agacer, à se chercher sans cesse… Les jours passent, il faut prendre les havenets, les vélos, les maillots de bain, filer avec le pique-nique vers la mer, pour la baignade quotidienne.
Ils éprouvèrent un amer et identique contentement à distancer, dès les premiers mots de leur entretien, le lieu commun de la dispute et du mensonge. C’est le fait d’héros, des comédiens et des enfants, de se sentir à l’aise sur un plan élevé. Ces enfants espérèrent follement qu’une douleur noble pouvait naître de l’amour.
Comme dans d’autres romans, La chatte par exemple, Colette nous présente une histoire d’amour à trois. Le troisième personnage dans ce cas-là est Madame Dalleray, la dame en blanc, une femme bourgeoise qui a deux fois l’âge de Phil et l’invite chez elle pour prendre une orangeade et… d’autres choses. La dame en blanc initie Phil dans les jeux de la chair et disparaît tel qu’elle était apparu, un peu par enchantement. Ce personnage entouré d’un halo mystérieux amène à Phil la douleur, le souci, l’insomnie, une sorte de culpabilité qui arrive également à Vinca, qui est au courant depuis le début de la liaison de son ami et éprouve la blessure de l’infidélité.
On dit que ce roman a été inspiré de la liaison amoureuse de Colette avec son beau-fils. À l’époque, cela était assez scandaleux mais je dirais qu’aujourd’hui la plupart de gens qui lisent Colette vont garder plutôt le délice de son écriture, et apprécier la manière dont l’auteur nous fait plonger dans l’histoire, nous fait marcher sur le sable, nous porte les rayons de soleil sur nos visages.
Il y a, dans ce roman, quelque chose de brûlant qui nous transporte aux va-et-vient de l’adolescence et nous enferme dans les contradictions de l’âge adulte. Dans le livre on voit, pourtant, une manière de comprendre et de vivre l’amour très passionnée, très pure, très unique. Une manière «jeune», nouvelle, une manière à eux, qui se tracassent pour trouver une définition. Les deux protagonistes s’installent dans une espèce de bulle où personne d’autre peut entrer. Les adultes qui les entourent sont «des ombres» et la nature qui accueille leur amour est mise au service de leurs sentiments et pensées. C’est fascinant.
Effectivement, Colette était une narratrice superbe mais, d’après Àngels Santa, et je suis tout à fait d’accord avec elle, elle manquait d’engagement qu’avaient d’autres écrivaines comme George Sand.