Veux-tu vivre en tant que lecteur polyvalent?
Prix Goncourt 2020 bien mérité. Hervé Le Tellier consacre sa littérature grâce à cette merveille inclassable, originale et touchante. Roman où le coronavirus est déjà complètement intégré et raconté au futur (de mars à août 2021).
Cela faisait très longtemps qu’un roman ne me fascinait pas autant. Le lire a été une expérience transformatrice et passionante. Les raisons sont multiples:
La première parce que l’on se promène dans plusieurs genres narratifs rassemblés dans un seul roman: polar, amour, espionnage, psycologique… L’écriture est complètement adaptée au genre, par exemple, l’histoire du tueur à gage est racontée d’une manière très directe, avec des phrases courtes et en utilisant des éléments propres du roman noir (pistes, abondance des détails…). La deuxième raison a à voir avec le positionnement du lecteur tout au long du roman. Dès qu’on découvre ce qui se passe, on est mené à se poser des questions gênantes et, à mon avis, nécessaires dans la vie: qu’est-ce que je ferais si cela m’arrivait… Le lecteur s’affronte à ce qu’en philosophie on appelle «une expérience de pensée». Finalement, le livre est prenant parce que tu es captivé par l’histoire d’une personne quelconque (cela pourrait être toi-même) et, une fois dedans, tu ne peux pas décrocher.
Bien que j’ai eu un peu de mal tout au début à comprendre le lien entre tous les personnages (il n’y a qu’un seul), tous te mènent au chemin du questionnement et de l’intrigue, tous te donnent envie de vouloir en savoir plus. Le lien est complètement hasardeux: tous sont des passagers d’un vol Paris-New York. À un moment donné, l’avion traverse un nuage très dense et subit de terribles turbulences. Il y a une anomalie et l’appareil va se photocopier (ou dédoubler), sans que les passagers le sachent. Pourtant, ces deux avions, exactement pareils à l’extérieur et à l’intérieur, vont atterrir à des moments différents d’une même année: en mars et en juin 2020. Et voilà ce qui est affreux dans toute cette histoire et, dès qu’on le sait, à partir d’où on commence à être vraiment accro.
Dans chaque chapitre nous nous promenons dans le quotidien d’une personne très particulière -qui ne l’est pas?- qui doit prendre des décisions qui peuvent changer le cours de sa vie. Ces personnages sont très bien desinés et on arrive à bien les reconnaître. Chacun d’eux est lié à un sujet transcendental: l’amour, la maternité, la mort, la créativité, les secrets… L’épisode le plus important arrive quand l’un rencontre l’autre. Trois mois ce n’est pas autant de temps pour changer en essence, mais on change quand-même pas mal de choses autour. Ils se reconnaissent mais il se surprennent également.
Et voilà les questions qu’on se pose inévitablement: Qu’est-ce qu’on ferai si on se trouvais face à face avec soi-même? Qu’est-ce que tu te dirais? Comment? Et qu’est-ce que tu ferais avec ton entourage? Qui est «le premier je»?
D’ailleurs, il y a deux personnages qui n’étaient pas dans l’avion mais qui vont faire tout ce qui est possible pour contrôler la situation et trouver des explications scientifiques. Ce sont deux mathématiciens qui exposent leurs théories d’un côté et, d’un autre côté, écoutent toute sorte de possibles explications venant de politiciens, théologues et scientifiques. Tous eux discutent et décident comment on peut affronter l’anomalie, qu’est-ce qu’on va raconter à la communauté internationale et qu’est-ce qui va se passer si cela se répète.
Mon personnage préféré est sans doute la scientifique Meredith parce qu’elle est vivante, sincère, passionnée, libre, intelligente et surtout parce qu’elle se fiche de la vérité tant qu’elle est toujours capable de ressentir la vie dans sa propre chair et la vivre intensément dans toutes les sphères.
«Simulés ou non, on vit, on sent, on aime, on souffre, on crée, et on mourra tous en laissant une trace, minuscule, dans la simulation. À quoi sert de savoir? Il faut toujours préférer l’obscurité à la science. L’ignorance est bonne camarade, et la vérité ne fabrique jamais du bonheur. Autant être simulés et heureux»
Ce livre ne peut laisser personne indifférent et tout le monde devrait le lire et en débattre longuement avec ses proches. Je vais l’offrir, le recommander et en parler pendant très très longtemps, j’en suis sûre.