Et si l’on avait une deuxième chance de naître, construirions-nous le même monde? Apprendrions-nous quelque chose des expériences de nos ancêtres?
Ce long roman démoralisant est protagonisé par Daniel 24 et Daniel 25, deux néo-humains clonés qui vivent aux alentours des années 4000, sur un coin de la Terre complètement ravagée qui pourrait être l’Espagne. On ne sait pas vraiment où ils vivent, on dirait une espèce de grotte, ni quelle forme ils ont. La seule chose que l’on peut déduire, c’est que cette voix qui nous parle à nous, lecteurs, est une «synthèse partielle» des échecs antérieurs, un être incapable de ressentir une infime forme d’émotion experimentée par Daniel 1, son ancêtre qui lui inspire une certaine compassion.
La plupart du roman montre la vie de ce Daniel 1, un humoriste de 40 ans, riche, cynique et en pleine crise existentielle. Ce personnage nous fait beaucoup penser à l’auteur et si on a lu d’autres romans, on reconnaît aussitôt cette voix mordante qui n’a pas la langue dans sa poche.
Daniel 1 entretient deux rapports importants: avec Isabelle, l’intelligence et avec Esther, le sexe. Cette dernière femme le fait beaucoup souffrir, elle est plus jeune de 25 ans et entre eux, il y a un abîme dans la façon de concevoir l’amour, la liberté et l’érotisme. Il tombe sur une secte, les Elohims et il se sent attiré au début en tant que spectateur. Il décide de passer quelque temps avec eux et il s’y mêle complètement. Il tente d’éradiquer sa souffrance et d’éviter le suicide.
Les Elohims parviennent à supplanter les religions traditionnelles. Ils découvrent le clonage et augurent ainsi la vie éternelle. Chacun d’eux, avant de mourir, doit livrer un échantillon de son ADN et un récit de vie à la secte afin de réapparaître sous la forme de néo-humains, des êtres qui mènent une vie dépourvue de passions.
On trouve pas mal d’allusions à notre style de vie actuel. Par exemple, Isabelle, qui travaille dans un journal, avoue que leur but principal est de «créer une humanité factice, frivole, qui ne sera jamais accessible au sérieux ni a l’humour, qui vivra jusqu’à sa mort dans une quête de plus en plus désesperée du fun et du sexe; une génération de Kids définitifs». Dès les premières pages, on voit un excellent portrait de notre société postmoderne.
Les sujets abordés dans le roman, assez habituels chez Houellebecq, sont:
- La perte de vitalité dans le monde occidental
- Le fonctionnement et la capacité de recrutement d’une secte
- L’esclavage de la pulsion sexuelle
- Le vide existentiel
- Le vieillissement incarné par Daniel 1 et mis en contrast avec Esther
Daniel 1 symbolise une sorte de miroir, il nous montre notre médiocrité humaine mais, d’un autre côté, notre capacité d’aimer, de désirer, de fantasmer et de nous tromper. Il vit avec Fox, son chien, le seul être vivant qui ne l’abandonne jamais et qui pourra être aussi cloné.
La dernière partie du livre, qui porte le titre du roman, est vraiment délectable. Cela vaut le coup d’y arriver, depuis la traversée deces nombreuses pages, heureusement tellement bien écrites. Daniel 25, accompagné de Fox, décide de sortir de la grotte et ensemble errent par cette terre dévastée par les sauvages (les derniers humains). Dans sa marche, Daniel réalisera ce qu’est le bonheur et la joie de vivre, sentiment qui l’approchera de son ancêtre Daniel 1. Il veut regarder, rêver, s’émouvoir et ressentir sur sa propre chair ce que cela veut vraiment dire être humain.
Ce livre ne laisse personne indifférent.